” La lutte contre la corruption durant cette transition,…c’est de la poudre aux yeux

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” La lutte contre la corruption durant cette transition,…c’est de la poudre aux yeux

Comme indiqué précédemment, Amina Soumaré évoque également la question des 49 soldats et mercenaires ivoiriens ainsi que la campagne du Gouvernement de Transition contre la criminalité financière et la corruption. À la lumière des actes posés jusqu’à présent, notre interlocuteur catégorise ce souhait comme un canard à cet égard. Sinon, « allez au Liberté si vous voulez lutter contre la corruption au Mali ». Elle décrit une école à Bamako où 50% des plus de 1 000 élèves sont maliens et la majorité sont des fils d’officiers de l’État, et où les frais de scolarité trimestriels sont de 2 500 000 FCFA, soit 733 000. Stupéfiant!

Aujourd’hui Mali : Comment vous vous portez ?

Amina Soumaré : Je me comporte comme la majorité des Maliens. Parce que lorsque votre téléphone sonne ces jours-ci, vous regardez immédiatement qui appelle pour déterminer si vous devez lui payer de l’argent. De plus, lorsque vous appelez, vous craignez que la personne à l’autre bout du fil ne réponde pas puisque vous prévoyez lui demander de l’argent. En conclusion, je tiens à souligner que vivre dans notre pays est devenu plus difficile. Je suis donc au même niveau que tout le monde dans cette circonstance.

On vous entend rarement faire des sorties médiatiques dans la presse. Pourquoi?

Depuis l’année dernière, j’ai jugé important de faire profil bas car, comme vous le savez, j’ai été la seule partie civile à demander justice lors du procès d’Amadou Aya Sanogo. Dans ma situation, nous sommes en Afrique, plus précisément au Mali, où il est interdit d’avouer ouvertement avoir été violé. En conséquence, une fois que j’ai signalé cela, j’ai reçu plusieurs insultes par e-mail, SMS et téléphone. Ces jours-ci, je suis redevenu entrepreneur, ce que je fais le mieux. De plus, je monte une chaîne de boucherie mobile sophistiquée au Mali, dont la première débutera en décembre à Hamdallaye ACI 2000, juste en face du magasin Mille et Une Merveilles.

Le CNT a adopté tout récemment une nouvelle loi portant réparation des victimes des crises. Etant une victime de la crise de 2012, quel regard portez-vous sur ce document ?

Tout d’abord, je suis ravi que ce matériau ait été adopté. Si vous vous souvenez, j’ai postulé pour rejoindre la CNT lors de la constitution du groupe initial de 121 personnes, et j’ai précisé très clairement dans ma lettre de motivation que j’envisageais de me battre jusqu’à ce que cette loi soit approuvée. Je tiens à exprimer ma gratitude aux membres de la CNT et à toute l’équipe de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) pour leur travail inlassable au fil des années afin de parvenir à cette adoption. Comme vous le savez, la CVJR a été créée en 2014 et l’un de ses objectifs est d’enregistrer les victimes et d’organiser des audiences publiques. Mais ce qui me dérange vraiment dans ces audiences, c’est la manière dont elles se déroulent. Parce que les bourreaux responsables de ces atrocités doivent être présents, la Commission Vérité et Justice ne peut pas se contenter de faire venir des victimes, de les écouter et de les faire pleurer. S’il est vrai que toutes les victimes ne peuvent pas facilement identifier les personnes qui les ont exécutées, il serait préférable que les auteurs soient présents lorsque les victimes ont demandé pardon. A titre d’illustration, prenons mon cas. J’ai été victime d’un enlèvement en 2012, et l’année dernière j’ai retrouvé les soldats Tangara et Keta responsables de mon enlèvement dans ma maison de Missabougou. D’autres personnes, comme l’ancien ministre Dramane Dembélé, N’Tji Diawara, l’ancien député Bagagnoa Cissé, l’ancien ministre Moustaph Dicko et le professeur Dioncounda Traoré, sont toujours en vie et peuvent aider à révéler la vérité sur ma situation. Par conséquent, si nous voulons parler de pardon, de vérité et de justice, toutes ces belles personnes doivent témoigner devant le public, ce qui permettra aux coupables d’admettre plus facilement leur erreur. Le but de l’audience publique à ce stade sera autre chose que d’appeler les victimes de viol et de les faire sangloter devant la foule.

Je suis en fait assez fier que ce projet de loi ait été adopté. Même dit, je préférerais que l’exécution du projet ne soit pas laissée entre les mains du Département de la réconciliation, qui est, à mon avis, dirigé par un ministre inefficace qui, depuis sa nomination jusqu’à présent, n’a pas réussi à réconcilier ses frères maliens . Une autre chose qui me fait peur, c’est de savoir que ce ministère utilise l’argent destiné aux victimes de ces crises pour d’autres choses.

Personnellement, qu’est-ce que vous attendiez de cette loi ? Une réparation financière, morale ou judiciaire ?

Personnellement, je ne suis pas sûre quand même qu’il y aura assez d’argent pour réparer ce qui m’est arrivée.

C’est-à-dire ?

Ce qui m’est arrivé est vraiment grave; à la suite de mon viol, j’ai même subi une intervention chirurgicale le 17 mai 2022, pour réparer une péridurale. En tant que Soninké, je me suis sentie obligée de parler publiquement du viol et de l’atteinte à mon honneur et à ma dignité.

J’ai dépensé beaucoup d’argent de 2012 à aujourd’hui pour payer mon hospitalisation en 2015 à l’hôpital Roi Mohamed V au Maroc, à la clinique Pasteur en France, à l’hôpital Gabriel Touré aux États-Unis et à l’hôpital Lincoln à New York. La vérité aurait pu me remonter le moral plus que l’aspect financier, et la justice l’aurait fait.

Par ailleurs, j’utilise le cas de Moussa Traoré, le ministre de l’éducation, qui a été saisi de l’hôpital Gabriel Touré lors des événements de 1991 et brûlé au Rond Point, pour illustrer quelle compensation pourrait être accordée à une famille pour les soulager. Je connais l’une de ses filles qui a lutté pendant des années tout en étudiant dur, mais je ne suis pas sûr du montant qui pourrait être donné dans le présent pour compenser la douleur qu’elle et sa famille ont endurée. Sa famille voulait seulement savoir comment et qui étaient les personnes qui étaient entrées par effraction dans l’hôpital Gabriel Touré, avaient pris un malade et l’avaient fait sortir pour le tuer.

Je sais aussi que la CVJR compte aujourd’hui plus de 28 000 victimes recensées ; plus de 50 % de ces victimes sont des femmes. D’autres dames ont vécu les mêmes horreurs que moi en 2012. De plus, Chérif Ousmane Madani Hadara, le chef du Haut Conseil Islamique, a fait quelques commentaires lors de son sermon au Maouloud l’autre jour qui méritent certainement réflexion. Puisqu’un pouvoir peut régner par la tyrannie, la tromperie et la folie, il a spécifiquement révélé que lorsqu’un pouvoir règne par une injustice complète, une pénalité céleste lui arrivera.

L’ampleur des comportements dégradants que les femmes ont subis pendant ces crises est minimisée ou ignorée. Si vous faites attention depuis 2012, je ne dis pas que la situation actuelle du Mali est due à nous, les femmes victimes, mais la situation de la nation mérite réflexion. Vous savez, malgré les horreurs que j’ai endurées depuis 2012, je n’ai jamais été entendu, à mon avis. Croyez-vous que Dieu continuera à être insensible dans cette situation ?

On peut estimer vos frais d’hospitalisation à combien ?

Je suis incapable de l’estimer. De plus, la loi stipule que les procédures judiciaires en cours ne seront pas affectées par cette loi d’indemnisation.

C’est-à-dire?

Je viens de lire des articles sur la législation dans la presse, alors je ne suis pas sûr de ce que la loi veut dire par là ; les autorités devraient nous le préciser. En dehors de cela, je n’ai jamais accepté ou reçu de paiement dans le passé sous forme d’argent.

Qui prenait en charge vos soins ?

Depuis 2012 jusqu’à nos jours, c’est moi-même qui prends en charge mes ordonnances et ma dernière  chirurgie date du mois de mai 2022. D’ailleurs, le médecin a accepté que ça soit filmé et photographié.

Vous avez postulé pour le CNT, est ce que vous avez été retenue cette fois-ci sur la liste additive ?

Non, malgré le fait que mon nom ait été déposé par deux faîtières importantes, dont la Fédération des associations des femmes commerçantes et entrepreneuses du Mali et le Conseil national de la société civile du Mali, tous deux dirigés par Boureima Allaye Touré, j’ai été pas choisi. Je me suis abstenu d’argumenter pour la raison évidente que les 121 violations de la clé de répartition détectées lors de la construction des membres initiaux devraient être corrigées par cette liste supplémentaire. Mais malheureusement, les mêmes erreurs se reproduisaient, c’est pourquoi le président du HCIM, Chérif Ousmane Madani Hadara, est parti protester contre l’omission de leurs recommandations de la liste. Malgré certains mensonges et trahisons dans certains de leurs comportements, force est de constater que ces troupes font toujours leur travail. Sinon, le Conseil national de la société civile du Mali, qui est là depuis un moment, et la Fédération des femmes commerçantes, qui existe depuis plus de dix ans, sont tous les deux assez importants. Même le Forsat civil, fédération fondée le 22 juin 2022 — il y a moins de 4 mois — y a vu son délégué lors de la création de l’AIGE. Alors à quoi bon s’épuiser, se mettre dans l’embarras ou parler si on ne va pas vers l’inclusivité ? Aucun homme, à mon avis, ne peut créer le mode de vie d’une nation. Après avoir purgé votre peine, vous partez.

Quel regard portez-vous sur la détention des militaires ivoiriens que les autorités maliennes qualifient de mercenaires ?

C’est un sujet malheureux et extrêmement délicat. Pour leur libération, les chefs d’État ont été engagés, et il y a eu des médiations à tous les niveaux. Même moi, j’ai récemment observé des groupes politiques en discuter. Je peux vous promettre que la MINUSMA ne serait pas responsable de notre situation actuelle si elle avait pris la responsabilité de rapporter la vérité 48 heures après cette arrestation. Car au niveau de la MINUSMA, même un simple contrat entre un consultant et un chauffeur est protégé par un numéro d’identification (index registration) attribué aux employés à New York. Tous les agents sont reconnus et rémunérés en fonction de ce numéro d’indice.

Croyez-vous qu’il y a des régions troubles ici?

Ce ne sont pas des mercenaires, a déclaré le secrétaire général de l’ONU, et la MINUSMA a hésité, entraînant le limogeage de son porte-parole. S’ils venaient chercher la Minusma, ce serait facile puisqu’elle diffuserait immédiatement le numéro d’identification de chaque soldat dans les informations locales ou mondiales, et tout Malien ou Ivoirien pourrait se rendre sur le site de la MINUSMA pour confirmation.

Donc, ces militaires-là n’avaient pas de numéro d’index ?

En tout cas, qu’est-ce qui empêche la Minusma de diffuser dans la presse les noms, prénoms et numéros d’identification de chacun de ces individus s’il est certain que ces troupes agissent de manière indépendante ? Rien ne peut les arrêter. Cependant, si la MINUSMA n’est pas en mesure de le faire, cela signifie qu’ils n’ont pas été invités. C’est la MINUSMA qui a été la première fautive dans l’affaire des 49 militaires ivoiriens. Les peuples du Mali et de la Côte d’Ivoire méritent de connaître la vérité sur cette situation. Même si la Côte d’Ivoire est une nation aimante et fraternelle, nous espérons que la vérité sortira pendant que l’affaire est encore devant les tribunaux car la vérité favorise des relations plus solides. Parce qu’il est communément admis que l’honnêteté et la vérité sont propices à l’amitié. Parce que c’est elle qui a semé l’incertitude avec sa note verbale, j’aurais préféré que la MINUSMA divulgue les cotes de chaque membre de cette délégation car sans honnêteté, il ne peut y avoir d’amour.

Que pensez-vous  de la lutte contre la corruption durant cette Transition  en tant que membre de la société civile?

Sans mentir, je crois que la lutte contre la corruption tout au long de la transition est un mythe. Parce que c’est vraiment de la poudre aux yeux pour le changement dans ce domaine. Rendez-vous à l’école Liberté A de Bamako si vous souhaitez lutter contre la corruption au Mali. Plus de 1000 enfants fréquentent l’école, et 50% d’entre eux sont des Maliens, en grande partie des fils de fonctionnaires. Il en coûte 2 500 000 FCFA (733 000 $) par trimestre pour envoyer mon enfant là-bas pour les frais de scolarité ; même un secrétaire général d’un ministère ne gagne pas autant d’argent. Mais il y a deux ou trois enfants d’un même fonctionnaire civil, des DFM, des chargés de mission, d’anciens premiers ministres et des ministres à l’école Liberty A. Une autre observation importante à partir d’aujourd’hui est que le Canada est devenu une destination pour les enfants des cadres administratifs qui louent des appartements ou les achètent pour leurs fils. Alors d’où vient cet argent quand un fonctionnaire qui ne gagne pas 500 000 F a deux ou trois enfants qui ont besoin de 2 500 000 F pour les dépenses scolaires ? S’il n’y avait pas la corruption, je peux vous promettre que rien dans l’attribution des contrats n’a changé jusqu’à présent, et c’est même devenu pire.

Par conséquent, à mon avis, nous n’avons pas attaqué là où il fallait dans la lutte contre la corruption. J’ai également omis de mentionner qu’à Liberté A, le montant de l’éducation augmente lorsqu’un enfant passe à un niveau supérieur puisque le ministère de l’Éducation n’est pas représenté au conseil d’administration. Cela fait que le budget de 3 milliards 347 millions de FCFA de l’Ecole Liberté A pour 2021 lui fait tordre les mains. Étrangement, les PDG maliens qui paient leurs enfants pour fréquenter cette école refusent d’augmenter les salaires des instructeurs maliens, tenant en otage l’école publique. C’est vraiment dommage.

Votre mot de fin

Je félicite les militaires pour leur victoire dans la guerre contre le terrorisme, et j’exhorte le président Assimi Gota et son administration à veiller à ce que l’inclusivité qu’ils prêchent à la télévision se reflète à la fois dans les paroles et dans les actes, car la nation a besoin de tous ses fils, indépendamment de leur statut politique, religieux ou social. Je veux aussi du dévouement et de l’honnêteté envers la population, ainsi que de la transparence dans la conduite des affaires publiques.

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